Viénot Andrée

Née le 7 juin 1901 à Dudelange (Grand Duché du Luxembourg), morte le 20 octobre 1976 à Charleville-Mézières (Ardennes). Militante socialiste et anticolonialiste. Député (1944-1947), sous-secrétaire d’État (1946), secrétaire de la fédération socialiste des Ardennes, conseillère générale et maire de Rocroi (Ardennes), responsable du PSA puis du PSU, membre du Comité central de la Ligue des droits de l’homme et de la Ligue de l’Enseignement.

Andrée Mayrisch était issue d’une famille d’industriels luxembourgeois. Son père, Émile Mayrisch (décédé en 1928), directeur de l’usine métallurgique de Dudelange, fut en 1911 à l’origine de la constitution d’un des principaux consortiums métallurgiques européens l’ARBED (Aciéries Réunies de Burbach-Eich-Dudelange) dont il devint président en 1920 et l’initiateur, en 1926, de l’Entente internationale de l’acier. Sa mère, Aline de Saint Hubert, amie de Walter Rathenau et de Maria van Rysselberghe (qui rédigea à son intention ses notes de journal sur André Gide publiées sous l’appellation de Cahiers de la petite dame), fondatrice de la Croix-rouge luxembourgeoise, recevait les milieux littéraires européens dans son château de Colpach. De nombreux artistes, savants, intellectuels et hommes politiques allaient marquer l’adolescence d’Andrée Mayrisch. Parmi ceux qui devaient rester ses amis, notons André Gide, Jean Schlumberger, Roger Martin du Gard. Ses parents, non croyants, l’avaient élevée dans une atmosphère très libre, sans les contraintes habituellement imposées aux filles de son temps. Mais une gouvernante catholique rhénane semble avoir marqué son éducation.

Très jeune, A. Mayrisch participa aux activités des guides « les campeuses bronzées de Dudelange », comme membre tout d’abord, puis comme chef de troupe. Elle devait conserver toute sa vie ce goût pour l’encadrement d’enfants, l’assumant tantôt dans l’animation des «  Faucons Rouges », ou dans la création de centres de vacances, ou encore dans son activité gouvernementale.

Élevée dans cette haute bourgeoisie intellectuelle, A. Mayrisch devait rapidement dépasser la tradition familiale d’action sociale pour s’engager dans le mouvement socialiste. Après son baccalauréat, passé au Luxembourg, elle chercha sa voie : elle accomplit une année d’études médicales en Suisse, puis elle passa trois semaines à l’Institut d’études politiques de Paris qu’elle abandonna, trouvant les idées trop teintées de libéralisme, pour la London School of economics, où elle obtint une licence d’économie politique en 1923. C’est dans la capitale anglaise qu’elle adhéra au Cercle d’études socialistes. Sa formation fut complétée par de nombreux voyages : Suisse, Italie, URSS (en juin 1925) et Allemagne (d’octobre 1925 à janvier 1926). Rentrée à Paris, elle séjourna chez Paul Desjardin, élargissant son cercle de connaissances. En 1923, à une décade de Pontigny, elle rencontra Pierre Viénot, qu’elle épousa, le 18 juillet 1929. Depuis 1926, elle dirigeait les services sociaux de l’ARBED. Le couple Viénot vécut à Berlin jusqu’au début de 1930, puis dans les Ardennes où Pierre Viénot fut élu député républicain-socialiste en 1932.

Andrée Viénot, qui assurait le secrétariat politique de son époux, avait adhéré au Parti socialiste SFIO dès son retour en France. Elle milita à la 5e section de la Seine et aux Faucons rouges. De fait, elle était en relation avec les socialistes depuis plusieurs années. Membre du groupe « Révolution constructive », elle collabora à de nombreux journaux et revues de gauche. En 1936, elle fut attachée au cabinet de son mari, sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères du gouvernement Blum, qui adhéra à la SFIO le jour de la chute du premier gouvernement de Front populaire. Elle partagea ses options antimunichoises. Avec sa mère, elle s’investit dans l’aide aux réfugiés anti-nazis en France, dont beaucoup firent un séjour dans leur appartement parisien, rue Cognacq-Jay, parmi lesquels leurs amis Golo Mann et Breitscheid. Sa participation à la vie politique ardennaise était aussi très active, principalement dans le journalisme et le scoutisme.

Après la défaite militaire de la France en juin 1940, Andrée Viénot embarqua avec Pierre Viénot à bord du Massilia. Elle l’assista lorsqu’il fut arrêté et emprisonné par le régime de Vichy. Installée dans les Alpes-Maritimes, elle participa à la reconstruction du Parti socialiste clandestin, à proximité de son département de résidence, principalement dans les Bouches-du-Rhône et le Var. Elle noua dans cette période des relations d’amitié durables avec le couple Daniel et Cletta Mayer (voir ces noms), relations certainement amorcées avant guerre. Après le décès de Pierre Viénot, le 20 juillet 1944, elle poursuivit ses activités résistantes et retourna avec Robert Verdier dans les Ardennes dès la libération de ce département à la fin du mois de septembre 1944. Elle appuya à cette occasion la demande de changement du préfet déposée par le CDL.

A la conférence des secrétaires fédéraux qui reconstitua le Parti socialiste SFIO, en novembre 1944, elle fut élue membre de la commission féminine nationale. Le même mois, elle fut désignée par la SFIO pour siéger à l’Assemblée consultative. En mai 1945, elle fut élue conseillère générale de Rocroi et devait l’être à nouveau à quatre reprises jusqu’en 1970. Au conseil général, elle anima la commission de la santé et de l’hygiène et présida le comité départemental d’aide aux vieux. Aux élections à la première Constituante, placée en deuxième position sur la liste SFIO départementale, derrière Bozzi, elle ne fut pas élue. Placée en tête lors des élections à la deuxième Constituante, elle fut élue députée des Ardennes le 2 juin 1946, puis à l’Assemblée Nationale en novembre 1946. Elle était membre de la commission de la famille, de la population et de la santé publique.

Le 25 juin 1946, A. Viénot fut désignée comme sous-secrétaire d’État à l’Éducation nationale, chargée de la Jeunesse et des Sports dans le gouvernement Bidault (juin 1946-novembre 1946). Elle conserva ce poste dans l’éphémère gouvernement Léon Blum (18 décembre 1946-16 janvier 1947), obtenant de joindre à ses services les colonies de vacances et l’équipement sportif qui dépendaient auparavant du ministère de la Santé et de celui de l’Équipement. Elle créa le corps des Inspecteurs de la jeunesse et des sports. Elle s’efforça de supprimer les subventions aux mouvements confessionnels et aux organisations politiques de jeunesse, au profit des mouvements laïques regroupés autour des écoles publiques. Son ambition, en ce lendemain de guerre, était de contribuer à la « revalorisation physique et morale des jeunes générations ».

Le 13 novembre 1947, Andrée Viénot résilia son mandat de député. Elle voulait — après les décès successifs de son mari et de sa mère — pouvoir assumer l’éducation des ses deux jeunes enfants. Ce repli ne fut pas total. Elle se consacra en priorité à son département. Très impliquée dans l’encadrement des jeunes, avec les Auberges de Jeunesse et les colonies de l’Enfance ouvrière ardennaise, elle continua à jouer un rôle capital dans la Fédération socialiste des Ardennes. Secrétaire fédérale adjointe depuis 1945, elle devint secrétaire administrative et directrice de l’hebdomadaire socialiste fédéral le Réveil Ardennais. Elle reprit la direction du secrétariat fédéral de septembre 1950 à mars 1951, puis de nouveau en avril 1952. En 1953, elle fut élue maire de Rocroi et le demeura jusqu’à son décès.

Andrée Viénot n’abandonna pas non plus toute activité au niveau national. Membre du conseil général de la Ligue de l’Enseignement, elle présenta le rapport national au congrès de Biarritz en 1950 et réalisa pour cette organisation des missions d’études à l’étranger. Dans la SFIO elle fut une des adversaires les plus résolus envers la direction de Guy Mollet. Européenne convaincue de longue date, militante active du Mouvement socialiste pour les États Unis d’Europe, comptant de nombreux amis au SPD, elle se prononça contre la CED, soutenant résolument les deux députés socialistes indisciplinés de son département, Guy Desson et Camille Titeux, lorsque la direction du parti les sanctionna. Et, surtout, elle s’opposa immédiatement à la politique de Guy Mollet en Algérie. Elle était très intéressée par les questions coloniales qu’elle avait suivies dès avant la guerre dans le cabinet de son époux et avait rapporté sur le texte qui accordait l’indépendance à la Syrie à l’Assemblée nationale à la Libération. Après 1947, elle soutint les députés malgaches condamnés à mort, puis les reçut, ainsi que Bourguiba, dans sa maison de Chooz après leur sortie de prison. Le 13 mars 1956, elle écrivait une longue lettre à Pierre Commin où elle exprimait « le désarroi et parfois le désespoir des militants de base devant les événements d’Algérie », dénonçant les promesses non tenues, « les gages » donnés aux Français d’Algérie et aux colonialistes métropolitains. Elle dénonçait « l’immobilisme », « l’enlisement » et appréhendait enfin le renversement du gouvernement « après que la droite lui ait fait faire sa sale besogne de guerre et de répression ». Elle fut immédiatement du petit noyau d’opposants socialistes qui se prononça pour des négociations puis pour l’indépendance.

Elle milita dans divers comités anticolonialistes, comme le Mouvement Justice et Liberté Outre-Mer, animé par Jean Rous, Yves Dechézelles et Marceau Pivert (voir ces noms dans le Maitron), et tenta d’y faire adhérer de nombreux camarades des Ardennes. Dans une lettre du 15 mai 1956, répondant à l’un d’entre eux qui critiquait son action, elle évoquait : « La profonde et irréversible révolution anticolonialiste que nous vivons ». Au conseil national de juin 1956 elle eut un violent accrochage avec Guy Mollet qu’elle avait comparé à Alexandre II en disant « l’ordre règne à Varsovie » et à Cavaignac. Sur la demande de Guy Mollet elle accepta de « retirer » Alexandre II mais ajouta « je ne puis retirer Cavaignac, ce républicain sincère, probe et pur, qui a préparé la ruine de la République en croyant la sauver ». Au congrès fédéral du 24 juin 1956, elle dut faire face à une très forte contestation menée par le secrétaire fédéral Lebon et par le sénateur Bozzi. Ce dernier défendit à cette occasion des thèses ouvertement colonialistes. Avec Guy Desson et Camille Titeux, elle fit adopter le texte de la minorité Mayer-Rosenfeld par 324 voix contre 233. La Fédération socialiste des Ardennes devint alors avec les Côtes-du-Nord et la Seine un bastion minoritaire.

A. Viénot démissionna de la SFIO le 7 novembre 1956, après le détournement d’avion des chefs du FLN et l’intervention à Suez, en dépit des adjurations de ses camarades minoritaires. Dans sa lettre de démission elle écrivait : « Aujourd’hui, il ne m’est plus possible de rester dans un parti dont les dirigeants, ayant accédé au gouvernement, ont renié non seulement les promesses faites aux électeurs, mais toute leur morale et toute la tradition du socialisme et ont fini, pour dissimuler l’échec de leur politique algérienne, par se lancer dans une guerre qui, malgré toutes les fautes de Nasser, est apparue au monde entier comme une guerre d’agression qui nous a menés au bord de la IIIe guerre mondiale. » Peu après, elle participa au congrès anticolonialiste d’Athènes avec M. Pivert, J. Daniel, J. Rous et L. Weitz.

Elle anima un « groupe d’action socialiste », constitué de quelques centaines de militants en rupture avec leur parti dans les Ardennes et en Champagne, mais refusa de suivre ceux qui choisirent de rejoindre l’Union de la gauche socialiste à sa formation en décembre 1957. Elle continuait à entretenir d’étroits rapports avec ses camarades minoritaires restés au sein de la SFIO, militant activement au Comité d’étude et d’action pour la paix en Algérie, dont Camille Titeux était membre du bureau.

Andrée Viénot n’accepta pas le retour au pouvoir du général de Gaulle en mai 1958. Membre du conseil général de la Ligue de l’enseignement, elle dénonça au congrès national de 1958 les menaces contre les libertés républicaines. Elle entra cette même année au Comité central de la Ligue des droits de l’homme, renforçant la majorité de cette organisation dirigée par son ami Daniel Mayer, hostile à la Ve République.

Elle adhéra au Parti socialiste autonome à sa fondation, fut secrétaire administratif de sa fédération des Ardennes et participa à son congrès de Montrouge, où elle présida la première journée le 2 mai 1959. Aux élections sénatoriales de mars 1959, elle se présenta sans espoir et sans succès, puis représenta symboliquement le Parti socialiste unifié aux élections sénatoriales et législatives de 1962. A ces dernières, elle devança le candidat SFIO (5 279 voix contre 3 007) mais le PC (9 465 suffrages) gagna la primaire à gauche et l’UNR l’emporta au second tour. En avril 1963, alors que le gaullisme était à son apogée, recevant le président de la République de passage à Rocroi, elle salua le chef de la France Libre, sous les ordres duquel son mari avait servi la France, mais se proclama une ferme adversaire du régime institué en 1958. A partir de 1963, proche du « courant unitaire » animé par Jean Poperen, elle s’éloigna de la direction du PSU. En 1965 elle soutint activement la candidature de François Mitterrand.

Repliée sur la vie politique locale, elle vécut mai 1968 dans les Ardennes. Elle refusa de se présenter aux élections en juin 1968 dans la circonscription de Mézières-Rethel, arguant de son enracinement dans la circonscription de Rocroi, mais aussi parce qu’elle se sentait « déphasée par rapport aux thèmes du PSU, et idéologiquement un peu dépassée ». Elle quitta le PSU pour militer au Parti socialiste en décembre 1972. Un voyage en Chine, en 1974, représenta un de ses derniers enthousiasmes politiques.

Dans son testament, Andrée Viénot, céda les oeuvres d’art familiales à la Croix-rouge, sa mère ayant, avec son accord, préalablement légué son château de Colpach, à son décès en 1947.

SOURCES DU MAITRON : Arch. Assemblée nationale. — Arch. OURS. — Arch. de la Ligue des droits de l’homme. — Arch. de la Ligue de l’enseignement. — L’Ardennais, 9 novembre 1956 — Lettre du 8 juin 1968. — Le Monde, 21 octobre 1976. — La Revue des Deux-Mondes, octobre 1984. — Marie Delcourt, Andrée Viénot-Mayrisch, dans : Amis de Colpach, Colpach, « petit noyau de la future Europe », Luxembourg, 1978, pp. 245-249. — Entretiens avec Rémi Viénot. — Notes de G. Déroches, J. Raymond et H. M. Bock.

G. Morin

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