Souvenirs d’un Ancien

Reçu ce 12 juillet 2009 sur le site (rubrique contact)

Souvenirs d’un Ancien

Je me suis liée d’amitié avec un vieux monsieur âgé de 86 ans. Cherchant pour lui des renseignements sur Les Faucons Rouges, je suis tombée sur votre site et votre appel à témoignage. Je l’ai en quelque sorte interviewé, et avec son accord je vous copie son texte.

J’ai aujourd’hui 86 ans, et je me souviens :

Un camarade du patronage que je fréquentais me dit un jour qu’un copain de son école lui avait dit : «  Oh, je connais une organisation formidable ! C’est un mouvement un peu comme les scouts, mais un mouvement socialiste  ». C’était en 1936.

La réunion qui se faisait toutes les semaines pas trop loin de chez moi me facilita la chose. J’avais treize ans et mes parents me laissèrent y aller.

Dans un immeuble de la rue du Château (Paris 14e), au premier étage, j’arrive dans une pièce où, ô étonnement, il y avait des garçons et des filles.

Pour les jeunes qui n’ont pas connu cette époque, où les garçons et les filles ne se mélangeaient pas : vraiment je n’en revenais pas !

D’emblée, les garçons et les filles me tutoyèrent, alors qu’en dehors, on ne parlait pas aux filles, ou, si on leur parlait, on les vouvoyait. La réunion se passa gentiment, le responsable, un garçon de pas loin de vingt ans, était sympathique, et ils se mirent à chanter des chansons que je ne connaissais pas encore, des chansons à tendance révolutionnaire. D’ailleurs je possède encore le livre de chants, qui m’étonne encore davantage aujourd’hui par la force de son message révolutionnaire eu égard à l’âge des enfants que nous étions alors, et qui était dû, à mon avis, à cette époque de 1936.

Chaque dimanche, il y avait une sortie. On prenait le métro jusqu’à une porte de Paris, et des fois, l’autobus, qui nous menait vers la campagne, et ensuite c’était la marche en chantant.

On portait des culottes courtes, d’une couleur foncée, en général bleu marine, une chemise bleu plus clair avec un insigne en tissu cousu sur la poche gauche, un foulard rouge noué autour du cou : l’uniforme n’était pas obligatoire, mais fortement conseillé ; cependant, celui qui n’avait pas les moyens de s’en payer un, était malgré tout accepté sans problème. On avait un petit sac à dos ou une musette pour y mettre le déjeuner du midi. Pour ma part, ce déjeuner était souvent des miettes de thon, le dessert, je ne m’en souviens plus, mais je n’en avais peut-être pas toujours, parce que nous n’avions pas beaucoup d’argent. A pied, en avant : « Marchons au pas camarade !... » 

Bien entendu, nous étions en rang par deux, sur les sentiers. Arrivés à un endroit propice, nous posions nos musettes et nos sacs, et le jeu commençait. En général, c’était la balle au prisonnier, et toujours garçons et filles mélangés. A l’heure du déjeuner, nous nous installions sur l’herbe, et le déjeuner terminé, nous parlions entre nous, garçons et filles, et bien souvent des événements (politiques). En effet, à treize ans, j’étais plutôt dans les plus jeunes. Dans notre groupe, les faucons rouges devaient avoir entre douze et seize ans ; mais notre aide approchait de la vingtaine. Ensuite, nous terminions l’après-midi, bien souvent en jouant au ballon, et ensuite c’était le retour.

Au moment des grandes grèves de 1936, il nous est arrivé d’aller en visite dans une usine en grève, pour y chanter des chansons « révolutionniares ». Quelquefois, un peu osées, car nous étions jeunes, très jeunes ; il nous est arrivé aussi de comprendre que cela n’intéressait pas forcément les gens que nous allions visiter.

Chaque année, des vacances nous étaient proposées, on appelait cela «  La République des Faucons Rouges  ». Pour ma part, j’y suis allé une fois, c’était en Angleterre, à Brighton. Je pense que c’était en été 1936, et là, ô surprise, il y avait des Anglais, (Worldcraft...), des Tchécoslovaques, des Espagnols (immigrés en France). Il y avait aussi des Juifs qui formaient un groupe. Chez nous, la moitié des Faucons Rouges étaient également d’origine juive , mais ils sont toujours restés avec nous, nous étions copains, et la religion de chacun ne jouait aucun rôle, si religion il y avait, car moi, par exemple, j’étais d’une famille athée.

Nous couchions dans des « marabouts », des tentes rondes avec un mât central, qui, je crois, provenaient des stocks de l’armée américaine de la guerre de 14-18. On couchait dans le rayon autour du mât. Les activités étaient principalement : le chant, le jeu (de ballon) et la marche (la marche pour la marche, on ne visitait rien). Il y avait tellement de monde, tellement de jeux que cela nous suffisait.

En 1937, la République des Faucons Rouges a eu lieu dans le sud-ouest de la France, mais mes parents ne m’ont pas permis de m’y rendre.

En 1938, les Juifs de notre groupe ont été invités à une réunion spéciale, et j’en déduis aujourd’hui que cette réunion devait les préparer à ce qui est arrivé avec la guerre, c’est à dire les prévenir qu’ils auraient à lutter contre le nazisme. Peu de temps après , il y a eu dissolution des Faucons Rouges.

Je suis alors rentré aux Auberges de Jeunesse, où j’ai retrouvé le même problème : j’étais dans un groupe à Paris entre la place d’Italie et la gare d’Austerlitz. Dans le groupe, il y avait beaucoup de Juifs, et l’occupation, chaque dimanche, était la marche rapide et préventive à travers les bois et les champs. On marchait à la boussole, chacun son tour, on prenait la tête du groupe. Il fallait marcher vite, on parcourait jusqu’à quarante kilomètres dans la journée. De toute évidence, le chef préparait tout le monde à la fuite.

Après la guerre, dans les années cinquante ou soixante, je suis passé par hasard dans un village où j’ai rencontré des Faucons Rouges dont l’aide avait vraisemblablement connu les Faucons Rouges avant la guerre, mais il n’a pas désiré que j’entre en contact avec le groupe qu’il encadrait alors.
Pour moi les Faucons Rouges étaient un groupe ouvert, sans préjugés, où régnait une atmosphère gaie, détendue. Mais il était sous l’influence de l’époque, c’est à dire d’une époque « révolutionnaire » (j’en veut pour preuve les chants révolutionnaires que nous chantions), où les salariés ont arraché à la bourgeoisie des droits que celle-ci a mis très longtemps à accepter vraiment.

La mixité des Faucons Rouges peut paraître ridicule aux jeunes d’aujourd’hui, mais à cette époque, c’était extra-ordinaire, aucune école n’était mixte, et quand on jouait, les garçons étaient avec les garçons et les filles avec les filles, même dans les patronages laïques que j’ai aussi fréquentés à Dreux, à l’âge de dix ou onze ans, avant de déménager à Paris et d’entrer aux Faucons Rouges.

Alain Durvie

Merci et Amitié à cet Ancien et à son interprète.