Monnet Georges

Né le 12 août 1898 à Aurillac (Cantal) ; mort le 9 décembre 1980 à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). Député socialiste du Soissonnais ; dirigeant des Amis de l’Enfance ouvrière ; ministre de l’Agriculture sous le Front populaire. Créateur de l’ONIB.

Fils d’un magistrat, petit-fils d’un sénateur de l’Allier par sa mère, Georges Monnet poursuivit ses études au-delà du baccalauréat, mais la Première Guerre mondiale les interrompit. Soldat à partir de 1916, il combattit notamment au Chemin des Dames. Après la guerre, il termina sa licence ès-lettres puis vint s’installer en 1922 comme exploitant agricole dans la « zone rouge », la zone dévastée par les combats, dans le Soissonnais à Celle-sur-Aisne (Aisne). En 1925, il fut élu maire de la commune et le demeura huit années. Adhérent au Parti socialiste dès sa prime jeunesse, il fut un temps secrétaire des Jeunesses socialistes de l’Aisne. De cette époque datent ses premiers contacts avec le journalisme.

Candidat de la Fédération socialiste aux élections législatives de 1928 dans l’arrondissement de Soissons, Georges Monnet recueillit 4 506 voix au 1er tour, devançant le député radical-socialiste sortant qui se désista en sa faveur. Au second tour, il l’emporta avec 8 672 voix contre 7 069 au candidat de la droite. Le nouveau député socialiste prit de suite une grande place au sein du groupe parlementaire et du Parti socialiste. Sa jeunesse, sa qualité d’homme de terrain parmi des élus en majorité issus de professions libérales, ses premières interventions lui assurèrent la sympathie de tous et lui conférèrent une certaine autorité. Il fit une interpellation sur les conditions dans lesquelles des marchés de prestations en nature avaient été accordés par le ministère des Finances aux sucreries de Braisne et Fismes. Le 14 novembre 1930, par son interpellation sur le scandale Oustric qui défrayait la chronique, il dénonça les méfaits du capitalisme financier et provoqua la chute du second cabinet Tardieu.

Siégeant à la commission de l’Agriculture, accordant à cette dernière ses activités essentielles, il prit au sein de la SFIO, sur les problèmes ruraux, la relève de Compère-Morel (voir ce nom dans le Maitron) de plus en plus absorbé par l’administration du Populaire. Dans les mois qui suivirent le congrès national de Bordeaux (8-11 juin 1930) consacré aux questions agricoles, Georges Monnet, en collaboration avec des juristes, mit au point un programme agricole socialiste dont la pièce maîtresse était la création d’un Office national interprofessionnel du blé. À plusieurs reprises à la Chambre des députés, il défendit ce projet et l’inscrivit dans sa profession de foi de 1932. C’est la seule réforme de structure que le Parti socialiste put faire inclure dans le programme du Rassemblement populaire. Mais Georges Monnet ne se limita pas aux problèmes relevant de sa profession. Il fut aussi rapporteur du budget des Beaux-Arts. Il implanta solidement le Parti socialiste dans l’Aisne : en 1931, il fut élu conseiller général d’Oulchy-le-Château et il y sera réélu en 1937.

Quelques prises de position le mirent parfois en difficulté avec les règles disciplinaires du parti. Il fut l’un des rares élus de la SFIO à adhérer au Comité de lutte contre la guerre et le fascisme de Barbusse. Blâmé par la CAP le 7 septembre 1932, Georges Monnet s’inclina mais quelques mois plus tard, en mars 1933, avec Paul Langevin, Gaston Bergery, Bernard Lecache, il participa à la fondation de Front commun contre le fascisme et fut membre du secrétariat de la nouvelle organisation, acte que la CAP condamna derechef le 28 juin. En octobre 1932, il commença sa collaboration au journal de Barbusse, Monde, dont il devint membre du comité de rédaction et un des actionnaires, contribuant ainsi à sauver le journal en difficulté depuis l’été. Malgré ses différends, Georges Monnet fut élu à la CAP en 1933 sur la motion présentée par Vincent Auriol. En 1935, c’est sur la motion de la Bataille socialiste qu’il y fut reconduit à l’issue du congrès de Mulhouse (1935).

« Enfant terrible » du PS, il en était aussi « l’enfant chéri » et ses dénonciations au Parlement lui donnaient une autorité morale. Les étudiants, les Jeunesses socialistes le sentaient proche d’eux, voyaient en lui autre chose qu’un professionnel de la politique. En 1932-1933, il s’occupait des Amis de l’Enfance ouvrière , les «  Faucons rouges  » organisme où il rencontra celle qui allait devenir son épouse en 1935 (voir Germaine Monnet).

Dans sa circonscription, Georges Monnet avait lancé en 1928 l’hebdomadaire le Réveil soissonnais qui devint en février 1935 le Réveil populaire. Il anima une vivante page agricole dans le Populaire et son action ne fut certainement pas étrangère à l’audience accrue de la SFIO dans les campagnes vers les années trente. Son personnage, déjà solidement campé en 1932, valut à Georges Monnet une belle réélection au 1er tour des législatives comme député de Soissons. Dans sa profession de foi, il résumait son programme par la nécessité « d’arracher l’État à l’autorité du grand capitalisme ». Sur 16 331 suffrages exprimés, il recueillit 8 987 voix contre 3 936 à son adversaire Poulaine. Après le 6 février 1934, il participa aux combats communs avec le Parti communiste. Le 8 février, au cours d’un rassemblement unitaire SFIO-PC-CGT-CGTU à Soissons, il appela à la cohésion de tous : « Le premier geste à faire, dit-il, c’est de se joindre à la grève générale de lundi. » Devenu un des familiers de Léon Blum, il l’accompagnait lorsqu’ils furent agressés en janvier 1936 par des Camelots du Roy qui suivaient le cortège funèbre de l’historien Jacques Bainville.

Lors des élections législatives de 1936, Georges Monnet dénonça les méfaits de la crise et l’impuissance des hommes de gauche. Il demanda l’abrogation des décrets-lois, la lutte contre le chômage par un plan de grands travaux, la libération des produits agricoles de la « mainmise de tous les grands intermédiaires capitalistes » et la création de l’Office du blé. Il préconisa une réforme fiscale et la nationalisation des industries de guerre. Sur le plan international, il demandait l’organisation des peuples pacifiques « pour lier, contre une agression éventuelle de l’Allemagne hitlérienne, l’action de la France, de l’Angleterre, de la Russie soviétique et de tous les peuples qui composent la SDN » Au 1er tour, il retrouva son siège de député de Soissons par 8 539 voix sur 16 277 suffrages exprimés contre 7 119 au radical indépendant Poulaine. Le Front populaire étant promis au pouvoir, G. Monnet apparaissait comme « ministrable », aussi grande fut la surprise lorsqu’au congrès de la salle Huyghens (Paris, les 30-31 mai et 1er juin), il fut écarté de la CAP. Finalement le vote fut corrigé par le retrait de Maurice Délépine (voir ce nom dans le Maitron) qui permit à Monnet d’accéder à cet organisme.

Georges Monnet détint le portefeuille de l’Agriculture dans le cabinet Blum (juin 1936-juin 1937), puis dans le cabinet Chautemps (juin 1937-janvier 1938) et dans le second cabinet Blum (mars-avril 1938). Il fut chargé de mener à bien la réalisation de l’ONIB, projet qui se heurtait à l’opposition de droite à la Chambre et à celle du Sénat. Le 3 juillet 1936, lorsque le projet vint devant la Chambre, Monnet demanda que les Assemblées fussent appelées à délibérer jusqu’au vote définitif sur l’ensemble. Il avait été alerté sur la stratégie de ses adversaires par la lecture du Bulletin quotidien de la Société d’études et d’informations économiques lié aux Comité des Forges. Le 14 août, au petit jour, au 7e aller-retour entre les deux assemblées, le Sénat finit par voter le texte modifié par 163 voix contre 72. Par le sérieux du projet de réforme, par son habileté et son autorité, G. Monnet avait mené à bien dans l’agriculture ce qui paradoxalement fut la seule vraie refonte de structure du Front populaire. Elle était un de ses dispositifs anti-crise comme il le souligna le 18 juin 1936 : « La revalorisation des produits agricoles, au même titre que la hausse des salaires est indispensable, dit-il, pour accroître la capacité de consommation des masses. La prospérité de nos villages et de nos fermes est un élément essentiel du renouveau économique que veut l’opinion et que réalisera l’action concordante des pouvoirs publics et des producteurs organisés. » L’ONIB était l’amorce d’une vaste politique de rénovation agricole aux objectifs multiples : augmentation des rendements et baisse des prix de revient, développement des exportations, réglementation de la production, amélioration de la qualité des produits, organisation du stockage. Avec l’ONIB, la France allait cesser d’être le pays d’un scandaleux contraste : blé à vil prix, pain cher aux dépens des producteurs et des consommateurs, pour le plus grand profit des maîtres du marché. Mais le ministre socialiste de l’Agriculture ne pouvait songer qu’aux seuls producteurs : il fit étendre aux ouvriers agricoles, peu nombreux mais constituant un véritable sous-prolétariat, les avantages accordés aux salariés des villes. Il ne pouvait pas davantage oublier les fermiers : à son appel, la Chambre des députés se saisit le 16 mars 1937 d’un statut du fermage qu’elle vota bientôt par 367 voix contre 263 ; mais le Sénat refusa de mettre ce projet à l’ordre du jour. À l’automne 1936, Léon Blum vint à Soissons prononcer un discours dans lequel il célébra les succès de la Fédération socialiste de l’Aisne et celui de Monnet.

Devant la tension internationale qui divisa les socialistes, Georges Monnet se rangea dans le camp des partisans de la résistance aux agressions des États totalitaires. Face à l’hebdomadaire le Pays socialiste des amis de P. Faure, Georges Monnet dirigea Agir pour la paix, pour le socialisme (collaborateurs : P. Brossolette, D. Mayer, G. Izard, Léo Lagrange, Viénot, Jean Bouhey). Il entra comme ministre du Blocus dans le cabinet Paul Reynaud en 1940, Léon Blum ayant précisé qu’il serait le porte-parole des socialistes dans le gouvernement. Il s’y prononça le 12 juin contre l’idée d’armistice. Il partit pour Port-Vendres, avec L. Blum, pour gagner Oran mais échoua dans ce projet. Le 10 juillet 1940, il s’abstint de voter les pleins pouvoirs au maréchal Pétain.

Pendant l’Occupation, il poursuivit au grand jour ses activités professionnelles comme celle de secrétaire général du Comité d’organisation des jus de fruits à partir de 1942. Il se tint à l’écart de la Résistance. En novembre 1944, le congrès des cadres du Parti socialiste l’exclut du parti. Il s’était tourné vers l’Afrique occidentale française où il s’était installé dès 1944. Il devint président de la Société du fruit colonial français à Abidjan, président de l’Habitat rural africain, président de l’Institut de recherches du café et du cacao. Il fut réélu au conseil général dans le canton d’Oulchy-le-Château en 1945. L’Assemblée territoriale de la Côte-d’Ivoire en fit un conseiller de l’Union française (1947-1958) et, en 1959, il représenta la Côte-d’Ivoire au Sénat de la Communauté. Dans le cabinet constitué en mai 1959 par Houphouët-Boigny, Georges Monnet reçut le portefeuille de l’Agriculture et le conserva jusqu’en 1961. Pendant trois années (1961-1964), il fut le conseiller personnel du président de la Côte-d’Ivoire. Rentré en France, il devint PDG du Centre national des expositions et concours agricoles.

SOURCES DU MAITRON : Arch. Nat., dossier biographique. — Arch. Dép. Aisne, M 11 478, 11 479, 14 005, 2 M 744. — J. Jolly, Dictionnaire des parlementaires, op. cit. — Westercamp, « Un siècle et demi de législature », in Bulletin de la société académique de Laon, T. XXXVIII. — J. Chastenet, Histoire de la IIIe République, t. VI, passim. — Martine Dubois et G. Crassi, Le Front populaire dans l’Aisne, Mémoire de Maîtrise, Reims, 1974. — G. Lachapelle, Les élections législatives, op. cit. — G. Rougeron, Le personnel politique bourbonnais, op. cit. — G. Lefranc, Le mouvement socialiste sous la IIIe République, op. cit. — G. Lefranc, « Georges Monnet », in Les études sociales et syndicales, janvier 1981. — Lettre de G. Lefranc (31 mars 1981). — L. Laurat, « Comment j’ai quitté Monde », Est et Ouest, n° 380, 16-30 septembre 1973. — France-Observateur, 7 mai 1959. — Le Monde, 12 et 17 décembre 1980.

J. Raymond

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