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Méthode et recherche

Puisqu’aucun organisme centralisé n’avait conservé d’archives, il fallut procéder, par le système des filières, à une enquête sur le terrain, un nom pouvait m’en faire découvrir dix, témoignage de l’extrême solidarité qui lie encore aujourd’hui les Faucons Rouges entre eux ; alors, au fond des caves, des greniers, nous découvrions quelques photos, quelques lettres et bulletins, mais les mémoires surtout se révélaient prolixes en souvenirs.

Cette recherche, ou plutôt cette enquête, porte sur deux l périodes bien distinctes : avant et après la Deuxième Guerre mondiale, un clivage qui complique un peu plus la tâche.

Dès 1938, les conflits internes au Parti Socialiste S.F.I.O. rejaillissaient dans ce microcosme d’idéalistes que constituait le Mouvement des Faucons Rouges ; beaucoup de jeunes responsables avaient quitté le Mouvement [1] et la tension ne cessait de grandir entre les différentes tendances : "bien avant le 10 juillet qui enregistre son décès officiel, il (le Parti) est traversé par des luttes internes qui transforment profondément le mode des relations impersonnelles. Les socialistes qui aiment à se définir par une série d’attributs affectifs : solidarité, camaraderie... placent, après septembre 1938, leurs rapports sous le signe de la méfiance, de l’hostilité, de la haine même" [2]

"Pacifistes", "trotskystes", "pivertistes", partirent chacun de leur côté avec leurs archives. Heureusement, les moins aventuriers parmi les fondateurs du Mouvement, pourtant compromis dans le courant pacifiste jusqu’à collaborer avec le gouvernement de Vichy, garderont, contre leurs détracteurs et leurs successeurs, les archives que la guerre et la prudence leur auront permis de conserver, ce sont les plus nombreuses. Aujourd’hui, malgré les ressentiments, ces anciens responsables se réjouissent de voir l’épopée pédagogique à laquelle ils ont participé, renaître de ses cendres. Ainsi, je dois à Gisèle Bernadou, ancien Maire de Houilles, au Dr Jacques Godard, de m’avoir permis de reconstituer la collection de l’AIDE (Bulletin mensuel des Amis de l’Enfance Ouvrière de France et de l’Internationale de l’Éducation Socialiste, bulletin d’informations techniques et pédagogiques destiné aux Aides) de 1932 à 1939, de m’avoir fourni des documents iconographiques, des coupures de presse et leurs témoignages personnels ; j’ai également recueilli ceux de Georges Monnet [3] avant sa mort, et de sa femme. Cette enquête a été l’occasion de renouer non seulement avec leur passé, mais avec des amis depuis longtemps dispersés, enrichissant encore leurs souvenirs réciproques - ils restaient bien les pionniers, ceux de l’avant-guerre -

Les "politiques", "pivertistes", "trotskystes" … n’ont pas eu la même patience archivistique, ils ont brûlé leur vie et leurs archives sur des sentiers où la pédagogie n’avait pas pu suivre. Il reste, là aussi, malgré tout, des témoignages oraux, appuyés sur une iconographie fort intéressante.

Et puis, il y a les souvenirs et les archives de ceux qui ont pu franchir le fossé de la guerre et témoigner sans crainte sur les deux versants de l’avant et de l’après-guerre, ce sont les moins nombreux. C’est le cas de Jacques Pernet, aujourd’hui médecin à Draveil, dans la région parisienne, ayant toujours vécu dans cette ville, excepté un court séjour avec ses parents en Tunisie avant-guerre. Grâce à lui, à sa mère, Thérèse Pernet, j’ai pu reconstituer l’histoire de la première République des Faucons Rouges à Draveil en 1932 et compléter les informations sur Kurt Lowenstein. Pour la période 1945-1950, je découvris, après de nombreuses recherches, chez Jacques et Simone Lacapère, instituteurs militants socialistes et de la pédagogie nouvelle (Simone Lacapère fut longtemps Directrice de l’École de plein air de Suresnes) [4], une caisse riche de bulletins intérieurs, rapports de Républiques, comptes-rendus d’activités, quelques numéros de l’Aide, de la correspondance.

Mais aucun fichier central n’a pu me fournir de façon précise les effectifs du Mouvement, de même qu’aucun groupe de province n’a pu communiquer des documents d’archives satisfaisants sur la période.

Au total, un long travail d’enquête pour une moisson quantitative décevante.

Des brochures éditées aujourd’hui par le Mouvement allemand donnent les renseignements essentiels sur son histoire, celle du Mouvement autrichien et de l’Internationale de l’Èducation Socialiste je ne sais malheureusement pas ce que recèle la Fondation Kurt Lowenstein qui vient d’être créée à Berlin Ouest.

Je remercie également pour leur aide précieuse Jean Akoka, Marcel Bernard, Lucienne Cohen-Hadria, Bruna, née Nardini, Gilberte, née Bouyé, Odette Kahane, Saidé Sackur, Mme Walgenwitz pour que revive l’histoire de ce "Summerhill" de l’éducation socialiste…

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[1voir ci-après, les relations du Mouvement de l’Enfance Ouvrière avec le Parti socialiste p. 115

[2Marc Sadoun "La S.F.I.O., de Munich à la Libération", Doctorat d’État, Sciences Politiques, Paris 1979.

[3Georges Monnet, Premier Secrétaire Général des Amis de l’Enfance Ouvrière, Député Socialiste et Ministre de l’Agriculture du Gouvernement Populaire en 1936.

[4Voir en annexe leur témoignage p. 173