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L ’ éducation socialiste des Faucons Rouges

La synthèse de Kurt Löwenstein et de l’Internationale de l’Éducation Socialiste

Les objectifs

Ni scouts, ni Amis de la Nature, ni Gardes rouges, mais un peu de tout cela, les Faucons Rouges sont bien le produit de toutes ces idées, ces expériences pédagogiques fondues dans la peau neuve d’un Faucon Rouge ; or c’est ce "rouge" qui va soulever le plus de problèmes, "rouge" mais comment ?

L’objectif de l’éducation socialiste se définit simplement : "oeuvrer pour une société socialiste" et cette affirmation tient lieu de profession de foi :

"Nous sommes socialistes sans réserve et sans restrictions, avec tout notre coeur. Nous savons que le socialisme est la synthèse des contradictions réelles du capitalisme. Le socialisme n’est pas seulement lié à une évolution naturelle de la société, il faut le construire, il faut agir pour en hâter l’avènement. " [1]

S’agit-il pour autant de former des agitateurs, des professionnels de la politique ? Non, répond Kurt Lowenstein, mais "former les cadres de la société socialiste future" ; un socialisme compris de la façon la plus large mais sur lequel il doit s’expliquer ; à ceux qui craignent l’embrigadement, aux politiques qui craignent l’hérésie, Kurt Lowenstein répond :

"Tout d’abord, il faut se persuader qu’il n’ y a pas d’éducation neutre. Est-ce que l’éducation qui est faite aux enfants d’Allemagne et d’Italie est neutre ? Est-ce que celle des Pionniers russes est neutre ? Dans notre pays même, est-ce que celle des scouts catholiques est neutre ? Éduquer c’est orienter. L’Éducation oriente donc vers quelque chose… Nous ne faisons donc pas plus de politique que n’importe quel mouvement éducatif. Car, si nous sommes rattachés au Parti Socialiste S.F.I.O., notre travail ne consiste pas à faire adopter aux enfants ce qui est la tactique momentanée du Parti Socialiste, mais au contraire faire comprendre ce qui constitue la base de la beauté de l’idée socialiste".

A-t-il bien convaincu les futurs cadres du Mouvement, a-t-il rassuré les militants socialistes (pour ne parler que des principaux intéressés, les adversaires renonceront à ces subtilités) ? Rien n’est moins sûr puisque le contenu de cette éducation socialiste comme les relations avec les Partis socialistes nationaux, reviendront éternellement empoisonner les débats de l’Internationale de l’Éducation Socialiste. Les Tchèques et les Polonais [2] lui reprochaient cette sorte de "neutralité" socialiste, les organisations des pays scandinaves, une connotation trop politique et nous verrons que les débats furent également vifs dans le Mouvement français.

Si les termes "les bases de la beauté du socialisme" évitent de poser l’éducation socialiste en terme d’engagement politique, ils n’excluent pas, dans la pratique, la mise en place d’une pédagogie révolutionnaire plus concrète.

Les bases de l’éducation socialiste

Kurt Lowenstein reprend l’idée chère à Pistrack du primat de l’éducation collective.

Première raison, l’école et la famille ne sont pas jugées capables d’accomplir cette oeuvre éducative dans le cadre du régime capitaliste ; l’école républicaine et laïque elle-même n’offre pas les conditions nécessaires à la libération des individus, du fait de méthodes jugées trop rigides et ce, malgré les efforts déployés par les instituteurs syndicalistes, eux-mêmes limités par la neutralité laïque. Les Faucons Rouges ne nient pas, comme le font Paul Robin ou Wyneken le rôle de la famille, mais ils considèrent que la famille ouvrière a ses limites :

  • ou bien elle est capable et consciente de sa tâche, mais le logement, le travail, la gênent considérablement,
  • ou bien elle est indigne, [3]

limites qui autorisent d’autres formes de regroupements ; c’est la fonction des groupes d’enfants qui doivent offrir des conditions morales et physiques supérieures à celles que l’enfant connaît tous les jours.

Seconde raison, la vie collective a une fonction émancipatrice ; pour Kurt Lowenstein, elle est seule capable d’apporter à l’enfant l’épanouissement dont il a besoin, la seule à pouvoir le libérer :

"le délivrer de ce sentiment d’infériorité et d’impuissance, telle est la forme première de l’éducation socialiste" [4]
Dans un groupe correspondant à son âge seront gommés, tous les signes extérieurs de l’appartenance sociale :

"dans ces groupes, aucun privilège tenant à la position sociale ou professionnelle des parents : les faucons sont tous égaux" [5]

Cette égalité devait renforcer les liens d’ amitié et de solidarité (deux mots symboles du Mouvement) entre les membres du groupe pour aboutir à ce principe des Faucons Rouges

"Nous sommes des enfants de travailleurs et nous en sommes fiers".

A cette fonction émancipatrice, la collectivité enfantine ajoute l’avantage pédagogique d’être le lieu privilégié pour l’apprentissage de la responsabilité. Les scouts l’avaient bien compris lorsqu’ils imaginèrent les premiers, une structure par groupe calquée sur le modèle d’une société tribale ; société dont on savait l’exercice du pouvoir lié à la capacité personnelle et non le résultat d’une hiérarchie complexe.

Enfin, pour démontrer qu’il n’y a pas d’exaltation gratuite de la vie collective, Kurt Lowenstein constate qu’elle est aussi la réponse appropriée pour résister à l’évolution d’une certaine forme de société industrielle :

" ... pour résister à un certain ordre économique, à une évolution de la société dont nous ne serions pas maîtres, il convient de développer dans nos groupes, ces facultés de gestion autonome mais collective". [6]

N’est-ce pas la définition même de ce que l’on appellera l"’autogestion" ?

Ainsi, axée sur l’apprentissage de la solidarité, de la responsabilité, l’éducation socialiste des Faucons Rouges débouche-t-elle naturellement sur l’apprentissage de la démocratie
"démocratie sociale et solidarité sociale, telles sont les deux idées fondamentales du socialisme".

S’il n’y a rien de vraiment original en effet à ce que les Faucons Rouges encouragent à prendre des responsabilités, ce qui l’est plus, c’est le caractère électif du système représentatif : tout responsable doit être élu, contrôlé et remplacé s’il le faut ; un système qui prendra tout son sens dans les Républiques.

Après 1945, les Faucons Rouges eurent à se défendre d’être "collectivistes" au regard de ce qui venait de se dérouler et se déroulait encore dans les pays totalitaires :

"aujourd’hui ce sont précisément les ennemis les plus acharnés du socialisme et du prolétariat qui exigent le renoncement à l’individu devant la communauté" [7]

pour s’interroger sur "ce que représente la collectivité pour nous autres socialistes" ?

Si les critiques furent plus vives après la guerre, la résistance des groupes français à certains aspects de l’éducation collective se fit sentir très tôt, au désespoir de Kurt Lowenstein l’exemple le plus significatif concerne le problème de la "caisse commune" (mise en commun de l’argent individuel utilisé pour le profit de tous à l’occasion des sorties ou redistribué sous forme de coupons pour les achats à la coopérative de la République [8] ; la coutume voulait également que les enfants mettent en commun la nourriture fournie par leur famille et la redistribuent équitablement entre tous, mais un Faucon moins averti n’acceptait pas toujours de bonne grâce la tranche de jambon apportée par le voisin au lieu du poulet donné par sa mère.

L’éducation socialiste subit une véritable mutation après la guerre ; il y a, pour tous les anciens Faucons Rouges, l’esprit d’avant-guerre, les Républiques d’avant-guerre, sous entendu l’esprit de collectivité, militant, révolutionnaire, internationaliste, et l’esprit d’après-guerre dépouillé d’une partie de cet idéal et privé de la vigilante présence de Kurt Lowenstein.

Il n’est pas étonnant que l’extraordinaire optimisme révolutionnaire d’avant-guerre :

"Nous ignorons quand sonnera pour l’Internationale de l’humanité socialiste l’heure de la dernière victoire, mais nous croyons comprendre les signaux qui précèdent la lutte finale" [9]

se soit quelque peu affadi après 1945.

Les grands principes de l’éducation socialiste ainsi posés, il convient de se pencher sur les méthodes pédagogiques employées :

"Nous voulons profiter de toutes les expériences de la psychologie et de la pratique pédagogique modernes"

Cette pédagogie dite "active" ou non autoritaire, sera réalisée tout au long de l’année au cours des sorties et des activités multiples, mais principalement dans ces camps d’été appelés REPUBLIQUES.

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Suite en cours de saisie… (19/08/07)

- Avancement

[1Kurt Lowenstein "Connaître pour Construire" 1934, publication du Mouvement de l’Enfance Ouvrière.

[2Le SKIF de Pologne (voir ci-après, histoire du mouvement) critique violemment l’I.E.S. et plus particulièrement les Faucons Rouges français·, "trop idéaliste (l’éducation socialiste), elle ne permet ni de s’adapter aux Jeunesses socialistes, ni à un Parti la véritable éducation socialiste doit au contraire préparer de bons militants d’un parti de classe ... il faut éduquer pour amener les enfants aux J.S. puis au Parti, c’est ce que fait le SKIF pour le BUND" - l’AIDE, février 1937

[3voir le témoignage de B. Nardini p. 164.

[4"Les idées fondamentales de notre éducation" K. Lowenstein, Cercle des Aides, 8 novembre 1933

[5- Faucons de nid pour les 6/8 ans

  • Jeunes faucons pour les 8/10 ans
  • Faucons rouges pour les 10/14 ans
  • Pionniers rouges de 14 à 16 ans

[6Kurt Lowenstein op. cit.

[7"Les bases de l’Education socialiste" Forges d’Aides 1945.

[8Débat porté au Parlement de la République "Malgré tout" de Verneuil l’Etang en 1935.

[9L’AIDE février 1937