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(août 2007) - Avancement

INTRODUCTION

Lacaune, été 1955 : en ce début d’après-midi, les cowboys et les Indiens ont envahi de leurs hurlements stridents la cour de l’école communale : comme chaque été elle se transformait en garderie gratuite pour accueillir les enfants des paysans ou des mineurs de la région, abandonnés par leurs camarades plus aisés qui préféraient à l’air de la montagne celui plus chaud de la côte héraultaise.

Armés de bouts de bois pétaradants, pistolets inoffensifs, affublés de plumes de pigeons, ces guerriers de comédie chevauchaient avec conviction des vieux balais qu’on allait jeter, fatigués d’avoir brossé toute l’année les lattes poussiéreuses d’un parquet grossier : autant de chimères qui, portées par leurs rêves de gosses paraissaient soudain plus authentiques. Au milieu de la bataille, un petit indien d’une dizaine d’années arbore quant à lui, au revers de sa blouse, un insigne "vraiment tout ce qu’il y a de plus indien" pense-t-il, un insigne représentant des flèches, trois flèches parallèles ... Ces trois flèches, ce sont celles de la SFIO, que ce Comanche d’un jour aura dérobées à son père.

Cependant, cet insigne semble ne pas laisser indifférent le jeune étudiant venu d’ALBI pour surveiller ces terreurs de l’Ouest. "Dis-moi, à qui appartient cet insigne ?" "A mon père monsieur", il n’en fallait pas plus pour que ce jeune parte à la rencontre de son père, un mineur des ardoisières, membre de la SFIO. L’étudiant n’eut nul besoin de parlementer ou de se perdre en conjectures, l’affaire fut conclue rapidement : désormais, l’Indien était membre d’un mouvement de jeunesse, d’obédience socialiste.

Cet enfant, alors âgé de onze ans en cette année 1955, c’est mon père. Et ce récit, celui de son arrivée dans un mouvement peu connu, créé en 1932 en France, un mouvement qui tente de se reconstituer, tant bien que mal, et de soigner des blessures laissées béantes par les hommes d’une guerre dont il n’a jamais voulu : ce mouvement c’est celui des Faucons Rouges... Les Faucons Rouges !

À qui ces mots évoquent-ils encore quelque chose aujourd’hui ? Combien de personnes ont-elles, fut-ce une seule et unique fois, entendu prononcer autour d’eux ces deux mots qui, pourtant, chez quiconque a un jour fréquenté le mouvement, éveillent la nostalgie d’une épopée, rappellent une foule d’amitiés jamais oubliées, rarement déçues. Pour s’en apercevoir, glissez ces mots à l’oreille d’un ancien faucon : voilà qu’un océan d’anecdotes vous submerge, que des photos à peine jaunies, des articles de presse, des courriers de toute l’Europe, quittent soudain le grenier poussiéreux où ils ne dormaient pas assez profondément pour qu’on les abandonne définitivement. Aussi, on découvre une certaine conception de la jeunesse et du socialisme revendiquée par un mouvement qui, il faut le reconnaître, est resté dans l’ombre des grands mouvements de jeunesse, politisés ou non, de gauche ou de droite.

À ce relatif anonymat de fait, on peut avancer plusieurs raisons : tout d’abord, ce mouvement n’a pas atteint l’un de ses objectifs initiaux, à savoir devenir un mouvement de masse : tout au plus a-t-il un jour atteint le nombre des deux milles adhérents dans le pays. Cela tendrait-il à dire qu’un mouvement pour perdurer dans la mémoire collective doit privilégier le nombre aux idées, la quantité à la qualité ?

À cette faiblesse numérique, il faut ajouter une donnée essentielle à toute recherche, dans quelque domaine que ce soit, et à plus forte raison aux recherches historiques : le problème des archives. En effet, à la différence des mouvements de jeunesse les plus célèbres, comme les Auberges de Jeunesse , les Scouts de Baden-Powell, les Éclaireurs de France ou les Croix de Feu du colonel de la Roque, les archives concernant les Faucons Rouges constituent une denrée rare. Surtout en ce qui concerne les années 30 et la naissance du mouvement, période dont les archives ont disparu avec celles de la SFIO pendant la Deuxième Guerre mondiale.

De plus, les archives d’après-guerre ayant résisté à l’épreuve du temps, ayant suivi le mouvement dans ses nombreux changements d’adresse, ont été ventilées dans la France entière, parmi les anciens responsables du mouvement. Ces archives étant pour l’essentiel constituées de courriers personnels parfois rédigés en allemand, on comprendra alors que toute tentative de classement devient une entreprise périlleuse. Aussi, actuellement, la seule mémoire véritablement valable est-elle essentiellement orale.

Heureusement, le mouvement est resté cher aux coeurs des anciens Faucons Rouges , qui au mot "d’Amitié" se livrent tout entier, dans un récit souvent touchant, hésitant entre les regrets d’une jeunesse révolue, et le bonheur de voir ce passé ressuscité pour un instant. Ils trouvent tous là un signe de ralliement, quelle que fût l’évolution de leur carrière, de la plus anonyme, à la plus célèbre. Parmi ces célébrités certains témoignages ont avancé le nom du chancelier allemand Willy Brandt, mais d’une manière plus catégorique on peut évoquer celui de Georges Charpak, prix Nobel de physique en 1992 : ce dernier évoque avec insistance son passage aux Faucons Rouges dans A Fil tendu, le récit de sa vie co-écrit par Dominique Saudinos. Soixante ans après, sa ferveur est intacte, et les retrouvailles avec ses camarades d’alors empreintes d’une émotion étonnante, au moment de se remémorer les anecdotes les plus croustillantes de ces années partagées. Il salue le rôle d’intégration et d’identification à la nation française qu’a joué pour lui, ce "mouvement semblable aux scouts catholiques ou aux éclaireurs protestants, mais laïcs d’obédience et socialiste".

Socialistes, les Faucons Rouges le sont, sans aucun doute : le socialisme au sens large, du plus tempéré au plus révolutionnaire, la couleur rouge a marqué le mouvement depuis l’origine. Sa vie, en France et en Europe se confond avec l’histoire du monde ouvrier dont il revendique fièrement l’héritage.

Depuis sa naissance le mouvement est marqué par son caractère ouvrier international. Et de cette naissance du mouvement, les Faucons Rouges en ont tiré un mythe, qui est une parabole des origines du mouvement, du contexte historico-politique qui a vu son éclosion. Cependant parallèlement à ce contexte politique français et européen, il y a un homme, Kurt Löwenstein, et un événement, la République de Draveil.

Tout d’abord, donc, le mouvement s’inscrit dans un contexte spécifique, tant en ce qui concerne son nom, que son objet et ses origines.

Son nom en effet a fait l’objet d’une légende, voire d’un mythe, relaté par les bulletins d’information (destinés aux jeunes faucons), en première page. Le récit prend alors un ton biblique, naïf, souligné par sa valeur métaphorique. Il s’agit en effet "d’une bien belle, véridique et touchante histoire" (in le MEO, son histoire, ses principes, ses buts) qui contient en substance la génèse de l’histoire du prolétariat, d’une révolution socialiste, le dégoût de toute forme d’aliénation de l’individu, de toute forme d’impérialisme ...

Cette histoire, c’est celle d’Anton Afritsch, un simple ouvrier menuisier, qui par une journée de 1908, se promenait dans une forêt aux alentours de Graz, en Autriche, en compagnie d’une bande d’enfants. Ces enfants, qui vivaient de rapine, Anton avait su les "apprivoiser", et ces promenades régulières étaient l’occasion pour Anton de leur faire observer la nature, les plantes, les animaux, mais aussi de leur conter sa vie et la misère de son apprentissage à l’usine, l’oppression qu’il avait subi pendant son service militaire. Ce jour là, les enfants virent s’envoler un groupe d’oiseaux, dont l’évolution dans le ciel leur parut très gracieuse mais d’un grande liberté... Anton mit un nom sur ces oiseaux si mystérieux : des faucons.

"Nous voudrions être libres comme ces oiseaux "lui déclarèrent les enfants, et Anton étant socialiste, ils prirent ce nom allemand de Roten Falken , ou Faucons Rouges dont l’esprit gagnera petit à petit la plupart des pays d’Europe.

Ainsi ce récit, un peu naïf car destiné aux enfants, apparaît-il comme la légitimation du mouvement qui dès lors, du fait d’une origine légendaire acquiert une certaine stature pour défendre sa conception des mouvements de jeunesse : former des militants qui soient aussi des hommes libres.

L’histoire ainsi racontée, semble avoir été l’inspiration d’un film que le peintre français Gérard Altmann, camarade faucon de Georges Charpak, avoue avoir vu au moins une dizaine de fois : Les chemins de la liberté [1] qui apparaît pour ces faucons des années trente comme une sorte de film "culte".

Mais plus concrètement, la naissance du mouvement s’insère dans une tendance historique, dans une ambiance qui voit se succéder en Europe une foule d’organisations de jeunesse. Ambiance à laquelle s’ajoute, en France, un climat politique favorable à l’éclosion de divers mouvements plus ou moins politisés, laïcs ou religieux.

On peut dater le début de cette "ère" européenne des mouvements de la jeunesse ouvrière du 10 novembre 1905, c’est-à-dire trois ans avant la fameuse légende d’Anton Afritsch. La scène se déroule au Danemark, à Copenhague, dans une modeste chambre d’un quartier ouvrier. Deux amis, A.C Mayer et Louis Florin décidèrent de créer la première association se proposant de réunir des enfants d’ouvriers âgés de dix à seize ans.

Il faut également noter, dans les années 1910-1920, la naissance du comité hambourgeois pour l’avancement des jeux de l’enfance. Un nouveau pas est franchi en 1922, dans le Château de Klasshein près de Salzbourg, où un professeur italien, un belge, une anglaise, deux suisses, et quelques autrichiens et allemands décident de former la première internationale d’éducation . Ce mouvement s’étend à toute l’Autriche en 1925 pour former une grande association : les " kinderfreunde ", ou amis des enfants littéralement.

Tout ce mouvement de développement de la jeunesse ouvrière s’inscrit à la suite de mouvements plus anciens, qui faisaient passer les origines sociologiques ou l’idéologie au second plan. Il s’agit d’une "tradition" peut-on dire, inaugurée en Allemagne, qui caractérise surtout les pays anglo-saxons : en 1896, Karl Fisher fonde avec ses camarades un cercle de jeunes sténographes : les Wandervogel (oiseau migrateur) qui organisent régulièrement des marches en campagne : ce mouvement prend son essor rapidement (45000 membres en 1914) et presque toutes les villes du Reich ont leur section.

On peut parler d’une véritable mode puisque les organisation de ce type prolifèrent : Hamburger Wandewerein en 1905, Akademische Freischar en 1906, en Allemagne. Ce mouvement coïncide en Angleterre avec la création du plus célèbre des mouvements de jeunesse, le mouvement scout en 1908, inspirés par les Jeunes Eclaireurs , crées par le même homme, le Général anglais Robert Baden-Powell, lors du siège de Mafeking en Afrique du Sud (Transvaal) qui opposa les Boers (paysans en néerlandais), les ancêtres des Afrikaners, à la suzeraineté anglaise.

Il faut cependant noter que cette mode, cet attrait croissant pour les mouvements de jeunesse résultent essentiellement des concentrations urbaines provoquées par l’organisation du travail.

En France, cette mode trouve un écho favorable, et on y voit surtout un prolongement de la vie politique. Il existait bien des patronages préfigurés par l’ association Saint Louis de Gonzague qui groupait les jeunes travailleurs, mais la jeunesse va faire l’objet des "convoitises" des partis politiques ou mouvements politisés.

On peut citer très tôt Albert de Mun, qui fonde en 1886 l’ Association catholique de la jeunesse française , pour affirmer la doctrine sociale de l’encyclique Rerum Novarum de Léon XIII parmi les jeunes : ce mouvement d’obédience chrétienne s’accélérera dès 1905, de peur que cette laïcisation issue de la séparation de l’Église et de l’État ne nuise à son influence.

Dans la 1ère moitié du 20ème siècle, chaque tendance idéologique va tenter de se doter d’un mouvement pour encadrer la jeunesse : depuis le catholicisme social qui préside à la création par Marc Sangnier de la première auberge de jeunesse, à Bierville en 1929, à des mouvements utilisés par les trotskystes comme le Cercle laïque des auberges de Jeunesse (CLAJ) (fondé à l’initiative de la CGT et de la Fédération nationale de l’enseignement , qui revendique son objectif d’éducation prépolitique), en passant par des mouvements traditionnellement classés à l’extrême droite, comme les Croix de Feu qui, avec le Colonel de La Roque vont se tourner vers la jeunesse, ou comme les Camelots du roi qui constituent le prolongement de l’ Action Française dans les milieux étudiants.

A ces mouvements organisés par les adultes, s’ajoutent des tentatives de mouvements plus "auto organisationnels", d’un plus grand pédocentrisme, symbolisés par la création en 1937 du CEMEA, Centre d’Entraînement aux Méthodes d’Educations Actives  [2] (après l’adoption de la loi sur les congés payés par le gouvernement du Front Populaire), qui s’il s’inspire des méthodes scoutes, bâtit ensuite sa propre pédagogie, notamment quant aux groupes d’âge, en se fondant sur les découvertes de la pédagogie, de la psychologie enfantine et de la psychosociologie. C’est dans cette dernière optique, on le verra, que se situent plutôt les Faucons Rouges.

Pourquoi cet engouement pour la politisation, ou plus exactement pour une orientation politique de la jeunesse ? La réponse se confond avec le contexte historique et politique de l’entre deux guerres. Quelle période de notre histoire a été plus marquée par les antagonismes idéologiques ? Le traumatisme de la guerre, de la défaite que l’on attribue à une crise des valeurs, la révolte du prolétariat urbain portée par la montée en puissance du marxisme partout en Europe, du sentiment d’une lutte des classes qui éveille en réaction, un anticommunisme féroce.

En France notamment, comme le note Georges Duby (dans son Histoire de la France de 1852 à nos jours ) le monde ouvrier est confronté à une non-intégration caractérisé par son aliénation croissante : en effet, la taylorisation et la standardisation poussées à l’extrême, (aliénation raillée par Chaplin dans Les Temps Modernes en 1936) voient l’apparition de l’O.S, ouvrier spécialisé, qui perd tout contact avec le bien produit, dont le travail, émietté, dénué de toute qualification préalable, est facilement substituable à celui d’un autre O.S. La monotonie, la fatigue, l’insécurité de l’emploi sont alors le lot du monde ouvrier pour qui l’accès à la culture, à l’éducation et donc à toute promotion sociale n’est qu’une aspiration irréalisable : on peut parler d’une aliénation culturelle. Pour preuve, les effectifs du secondaire ne varient pas de 1880 à 1939, et le baccalauréat constitue une barrière infranchissable, et pourtant incontournable, pour tout enfant d’ouvrier aspirant à une ascension sociale et à la "bourgeoisie".

D’ailleurs, les bourses d’études, si elles sont facilement accordées aux enfants de fonctionnaires, ne le sont que beaucoup plus parcimonieusement aux enfants d’ouvriers. Tout un contexte, qui amplifié par le désastre économique et boursier de 1929, la crise morale de la 3ème république fait apparaître d’un côté, les communistes et socialistes, face auxquels les mouvements d’extrême droite ( Francisme de Bucard, Croix de Feu ... ) se dressent comme le seul et unique rempart… Tout un contexte symbolisé par les manifestations du 4 février 1934 qui a fait craindre à toute la gauche une prise de pouvoir de l’extrême droite avortée par le manque d’initiative du Colonel de La Roque dont les effectifs étaient de loin les plus nombreux.

C’est à ce contexte que les Faucons doivent d’avoir vu le jour, à ce contexte qui voyait les grèves et révoltes ouvrières écrasées par l’armée, le plus souvent dans un bain de sang. D’ailleurs, les multiples brochures éditées par les Faucons Rouges aiment à citer des exemples précis et marquants de cette lutte du prolétariat contre les gouvernements "bourgeois" en Europe. On retiendra notamment celui cité par l’une d’entre-elle, intitulée le " Mouvement de l’Enfance Ouvrière, Faucons Rouges, son histoire, ses principes, ses buts ", datant des années cinquante : cette brochure rappelle en effet aux jeunes Faucons l’épisode du soulèvement ouvrier de Vienne de 1934, que le Chancelier Dolfuss, démocrate chrétien, fit durement réprimer, en faisant détruire à coups de canon les logements de ces ouvriers. Il est évident que les Faucons n’ont pu que profiter de cette dynamique et de cette montée en puissance des revendications ouvrières appuyée par l’expérience socialiste somme toute encore récente tentée en Russie depuis la révolution de 1917. Les Faucons Rouges prétendent ainsi à l’émancipation de la jeunesse ouvrière.

Cependant, s’il apparaît incontestable que la naissance du mouvement en France comme ailleurs doit beaucoup à cet environnement, elle apparaît surtout comme le résultat du travail d’un homme, considéré comme le penseur des Faucons Rouges qui a permis aux Faucons Rouges de s’implanter un peu partout en Europe : Kurt Löwenstein, puisque c’est de lui qu’il s’agit a en effet participé directement à leur implantation en Pologne en 1925, au Danemark et en Lettonie en 1927, en Hongrie en 1928, en Suisse en 1930, et enfin en Roumanie et en Finlande en 1932.

C’est cet allemand, né à Bleckede en 1895 qui a permis aux Faucons Rouges de grandir dans la mouvance de la social-démocratie allemande et autrichienne. Kurt Löwenstein s’est tourné rapidement vers des études de philosophie, de pédagogie et de psychologie, à Hanovre : il soutiendra d’ailleurs une thèse consacrée au pédagogue français J.M. Guyau en 1910. Fortement influencé par plusieurs penseurs comme les autogestionnaires Chatzky et De Honer, il sera d’abord instituteur, puis professeur des écoles populaires avant d’être élu conseiller municipal en 1919, puis député social-démocrate au Reichstag : c’est lui qui créera les Faucons Rouges en Allemagne alors que ceux-ci n’existaient qu’en Autriche et il profitera ailleurs des perspectives que lui ouvrent l’ Internationale de l’éducation des Faucons Rouges , notamment l’organisation des futures républiques de Faucons qui est en germe dans un de ses ouvrages :

Au-delà de son retentissement, cette manifestation marque le caractère international du mouvement, et montre, s’il en était besoin à quel point les immigrés et réfugiés politiques ont joué un rôle prépondérant dans son développement. En effet, si l’on est obligé de citer le rôle de Kurt I1iwenstein, on ne saurait passer sous silence celui d’un autre allemand ayant lui aussi fui le nazisme, et qui lui aussi participa à la république de Draveil. Cet allemand, c’est Ernst Kern, qui en 1932 était responsable du groupe Faucon de Ludwigshaffen, et qui se réfugia à Oamart en 1933 chez un ami qu’il avait justement connu à Draveil. Cet homme aura un rôle considérable, quoique plus anonyme que Lôwenstein, notamment dans la conduite des relations avec les faucons allemands, et dans l’organisation même des Roten Falken en France qui sans sa houlette constituent, avant la guerre comme après, le groupe le plus actif. Il paiera même de sa personne, et sera expulsé de France à cause de sa nationalité certe, mais surtout de son engagement politique : il ne devra son salut qu’à Léon Blum, Bracke et Georges Monnet (qu’il connut lui aussi 11 Draveil) qui lui permirent de faire son service national, 11 la DCA de Rouen. Il s’installera alors comme fermier dans le Gers où il accueillera des enfants allemands dont les parents sont victimes du nazisme.
Celte république d’enfants de Draveil marque ainsi le point de départ de l’aventure des Faucons Rouges en France. Pourquoi ? Parce qu’elle marque aussi la rencontre entre ce mouvement et un groupe, un courant interne à la SFIO qui, séduit par la bonne impression laissée par ces jeunes allemands et autrichiens, participera à la constitution d’un groupe similaire en France : ce sont certains membres du courant Révolution Constructive (cf. thèse de Stéphane Clouet), issus d’un groupe de onze intellectuels connus sous le nom de "groupe des onze", qui regroupait P. Bouin, Suzanne Bouilly, Maurice Deixonne, le docteur Jacques Godard, Max Grignon, Jean Hard, Ignace Kohen, Georges Lefranc, Emilie Lamarc (future épouse de G. Lefrane), Robert Marjolin et Claude Levi-strauss. Parmi ces signataires du manifeste de Révolution Constructive en 1932, deux militeront très ardemment aux Faucons Rouges : Georges Lefranc tout d’abord. Cet homme né en 1904, historien du mouvement ouvrier a très tôt, en 1918, ehercher les lectures des minoritaires socialistes. Ce khâgneux de Louis Legrand marqué par l’horreur de la première guerre mondiale sera admis à la rue d’ulm en 1924, à la deuxième place d’une promotion qui comptait des hommes comme JP. Sartre ou R. Aron.

Ce socialiste dans l’âme participa à la création en 1928 du groupe des étudiants socialistes des EN, et en 1925, à celle d’un mouvement présidé par Marcel Déat, le groupe d’étudiants socialistes au niveau national. Puis en 1926 il est encore présent à Amsterdam pour la création de l’internationale des étudiants socialistes. Il est de ces normaliens tombés sous l’influence de Lucien Herr, qui passait par son intermédiaire pour payer ses cotisations à la cinquième section SFIO de la Seine à laquelle ils appartenaient tous les deux, et qui l’avait choisi comme élève bibliothécaire. Mais il apparaît rapidement comme un rénovateur, reprochant à la SFIO son peu d’intérêt pour les institutions ouvrières.
11.

des questions de l’école et de l’éducation socialiste, ou encore dans l’Enfant comme bâtisseur de la société à venir. D’après l’étude réalisée par Stéphane Clouet dans sa thèse Révolution Constructive, on peut caractériser sa pensée comme l’alliance de l’idéologie des réformateurs bourgeois, marquées par les révolutions de 1789 et 1848, avec le matérialisme historique et la lutte des classes. On trouve chez lui l’influence de Max Adler, c’est-à-dire que le regroupement des enfants et le campisme scout permettent "la socialisation de la vie", mais aussi l’idée que ces républiques préfigurées dans ces ouvrages symbolisent, en faisant appel à l’effort, à l’initiative et à la responsabilité, la société idéale.
Cest donc sous l’influence de cet homme que le mouvement des Faucons Rouges a pénétré la première fois la France, pays latin, pour tenter d’y imposer ces principes solidement ancrés dans la culture social-démocrate germanique. Encore une fois, le mouvement des Faucons Rouges en France en appelle à des origines internationales.

Etant juif et de surcroît social-démocrate, Kurt Lôwenstein subit de plein fouet la montée des nazis en Allemagne, pour qui la crise économique de 1929 et l’explosion du chômage est un tremplin rêvé. En effet le parti national-socialiste ouvrier allemand d’Adolf Hitler dès 1930 prend un essor considérable (il obtient 107 députés au Reichstag aux élections de 1930), et dès 1932, et la défaite de Hitler face à Hindenburg aux élections présidentielles, celui-ci fait peser une menace croissante sur les juifs et les socialistes par des intrigues ministérielles et dcs négociations compromettant tous les partis, se jouant successivement des chanceliers Brüning, Von Pappen et Von Schlueher. Il parvient à faire interdire le parti communiste après l’incendie du Reichstag en 1933, le tout en se fondant sur les SA, puis les SS qui font régner la terreur spirituelle et physique. Pour ces raisons, Kurt Lôwenstein devra s’exiler en France, avec son épouse Mara et son fils Dyno à Draveil, en Seine et Oise.

Draveil, cette ville où il était déjà venu en 1932, pour organiser une rencontre entre de jeunes français et des troupes de Faucons allemands et autrichiens. Devenue membre de l’union parisienne des instituteurs allemands immigrés, il sera autorisé après quelques étapes à s’y réfugier pour fuir la violence nazie. Tout un symbole. Pour les publications Faucons Rouges, cette première république de Faucons Rouges sur le sol français "fit beaucoup de bruit, tant parmi nos amis qu’auprès de ceux qui voyaient cela d’un mauvais oeil", et nul doute que ce fut "une réalisation tapageuse". Plus concrètement, un journaliste belge écrit : "ce qu’elle nous offre à au moins le mérite d’être un effort vers la beauté, par la simplicité et la franehise". En effet la population a vu là, pour la première fois, un Parlement, démocratiquement élu, "faire parts des désirs, suggestions, observations des enfants", et c’était en ce mois d’août 1932.
10.

En 1932, après avoir refusé trois propositions de candidatures à la députation, il se consacrera à partir du mois de décembre à l’éducation ouvrière, avec son épouse Emilie Lefranc, dans le cadre de l’Institut Supérieur Ouvrier. On le voit, cet homme était prédisposé à trouver quelque intérêt à un mouvement d’éducation de l’enfance ouvrière, et son action au sein des Faucons paraît s’inscrire dans la logique de ses activités.

Le deuxième homme de Révolution Constructive a eu une influence bien plus décisive encore : Jacques Godard, en effet, né en 1905, docteur en médecine fera partie de ces cadres et responsables adultes du mouvement de la première heure. Il participa aux débuts du mouvement, puis partit un an aux Etats-Unis, d’où il reviendra pour, en 1936, remplacer le responsable des Faucons. Ce responsable était lui aussi un homme de Draveil, où il avait rencontré Ernst Kem : ce premier responsable du mouvement en France, l’homme qui prit donc la responsabilité de monter le groupe, c’est Georges Monnet, qui imprégnera le groupe de son horreur de la guerre, de sa préoccupation face au déclin progressif de la social-démocratie, face au délaissement, de l’éducation des enfants. D’ailleurs, un léger différend, sans gravité, l’opposera à Kurt U1wenstein, ce dernier lui reprochant de vouloir franciser les Faucons Rouges : en fait, comme le rappelle Stéphane Qouet, il s’agissait plutôt d’adapter un mouvement dont les principes sont liés à la culture germanique à un pays de culture plutôt latine, aux moeurs plus individualistes.

Il était important de citer ces hommes, mais le départ de cette aventure, est avant tout, au-delà des personnalités marquantes, une oeuvre collective. Une oeuvre à laquelle ont participé de nombreux conseillers techniques, de nombreux bénévoles, appelés "aides" comme Robert Jospin, Pierre Bossut, le docteur Robert Uon dont il faut noter son passage efficace à la direction du journal Faucon Amitié et qui mourra en Normandie,sur les plages, et aussi une institutrice, Gisèle Bemadou, qui succédera à Jacques Godard à la tête du mouvement. On peut aussi citer, bien sûr, un homme cité par Stéphane Clouet comme un simple aide, mais considéré par Maitron dans son annuaire des dirigeants socialistes comme le véritable fondateur des Faucons Rouges. Cet homme, fils de la chanteuse Gina Foriani, étudiant à l’école nationale des arts déco, était un militant socialiste certes, mais surtout un éclaireur protestant, passionné par le camping et la randonnée, qui en 1931 sera à l’origine du mouvement des "Campeurs Rouges".
12.

[1Note du webmestre : Nous essayons d’identifier ce film. Le titre "les chemins de la liberté", en français ou en anglais apparaît pour de nombreux films, la plupart réalisés après la seconde Guerre mondiale. Toutefois, il est possible qu’il s’agisse de "Ritt in die Freiheit" réalisé en Allemagne, en 1936, par Karl Hartl — donc dans la période nazie (produit par UFA) — nous allons essayer d’accéder au film lui-même… un jour. (2/09/07)

[2Note du webmestre : à l’origine les CEMEA s’appelaient Centres d’Entrainement aux Méthodes de Pédagogie Active , le changement de nom a eu lieu après la Libération.