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5) La situation sociale de l’enfant ouvrier.

Le travail est un facteur pédagogique essentiel. Dans la famille , de jadis à productiorn patriarcale l’enfant participait dès ses premiers ans au travail que comportait cette forme de société, d’abord en jouant, pour s’amuser et en ,imitant les adultes, et plus tard avec des responsabilités croissantes. Cette éducation était idéale à un certain point de vue, car il n’y a pas de moyen meilleur que le travail pour adapter l’enfant à une discipline incorruptible, à une pensée logique et à une conscience objective. Dans une famille de cette nature, les outils du ménage et de l’atelier sont les premiers joujoux de l’enfant, et en s’en servant il agrandit et renforce ses propres organes. Ce maniement des outils le rend habile, plus habile que toutes les tentatives insuffisantes du travail manuel à l’école. Il donne à l’enfant confiance en soi en lui faisant prendre conscience de son pouvoir et en lui conférant une considération dans l’opinion familiale.

Mais, malheureusement, cette forme, du travail n’existe pour ainsi dire plus dans la famille. La grande industrie a remplacé les petits métiers et la famille a perdu ou perd de plus en plus cette responsabilité idéale de communauté éducative par le travail. Ce ne sont pas les « méchants marxistes » qui ont provoqué ce résultat par leur propagande, mais ils le constatent, ils posent le problème et en préparent la solution.

Le capitalisme a détruit la base de notre vie économique, mais il a également ébranlé la base normale de notre société. Le langage des faits est trop dur pour que la classe ouvrière puisse vivre d’illusions. Notre éducation doit toujours s’orienter vers la réalité. Nous voulons considérer l’enfant dans son monde à lui et ne point l’élever comme s’il vivait dans le monde de nos rêves ou de nos illusions. Il nous faut donc à la fois considérer la situation de l’enfant ouvrier et la situation de la classe ouvrière. Nous devons en conséquence orienter l’intelligence, la volonté, l’activité et les habitudes de nos enfants en partant des réalités de leurs propres existences qui sont la misère, l’oppression et l’infériorité pour aboutir à la réalité immédiate de notre idéal socialiste et de notre volonté révolutionnaire. Nous ne voulons pas élever l’enfant comme une miniature d’adulte, mais nous ne voulons pas oublier qu’il sera le combattant et le constructeur de la société de demain et que c’est dans le monde d’aujourd’hui qu’il faut se préparer pour le monde de demain.

Notre enfant est enfant et nous devons lutter pour que l’exploitation capitaliste et sa misère n’en fassent plus un « adulte prématuré ». Mais dans l’état où il se trouve présentement nous devons soigneusement veiller à bien connaître la psychologie de l’enfant et à adapter continuellement la pratique de l’éducation au rythme du développement et à la conscience de l’enfant. Une pédagogie qui ne procède pas d’une exacte compréhension de l’âme enfantine est absolument sans valeur.

Notre enfant est élevé dans la famille, il fréquente l’école ; il vit dans les rues. Il va faire des courses pour la mère et partout où il se trouve, l’ordre capitaliste l’accompagne, façonne ses sentiments et lui donne des leçons qu’il n’a pas besoin de se répéter par l’intermédiaire de livres imprimés, mais qui se répètent dans la vie de chaque jour. Tout le monde distingue et se trouve distingué selon la position qu’il occupe sur l’échelle de la propriété, et les signes extérieurs de l’aisance suffisent généralement « pour jouir d’une certaine considération ».

Dans une enquête sur « ce que pensent les enfants », un enfant aisé donne ainsi son opinion sur ce sujet : « Le riche et le pauvre » :

« Quand on est pauvre, on ne peut entrer dans une grande société aussi bien que si l’on est riche, et on ne peut pas se mêler d’affaires politiques aussi bien qu’un homme qui a de l’argent. Malgré que pauvreté n’est pas vice, les pauvres sont en général mal vus et ne sont parfois, pas reçus dans la société. »

Un pauvre enfant de Zurich a bien observé : « Quand un pauvre dit bonsoir, le riche passe à côté sans même lui répondre », et un autre a fait l’expérience « si un riche entre dans un magasin où se trouvent plusieurs personnes, le riche est servi le premier et le pauvre
doit attendre debout ».

La distinction entre les classes qui s’exprime dans tous ces exemples, que tout le monde peut multiplier par sa propre expérience, est malheureusement déguisée par le manque de sincérité et par l’affectation de sentiments qu’on trouve dans ce qu’on appelle la sagesse des nations. Il y a une énorme contradiction entre nos principes et nos faits sociaux, entre les règles admises et les mœurs, entre la réalité de nos désirs et la pratique de notre vie. L’éducateur socialiste
doit à sa classe une sincérité absolue. Cette sincérité. ne lui pose pas seulement un problème mais l’oblige à essayer de le résoudre...

Quelles sont les chances de nos efforts éducatifs ? Nous connaissons les limites de notre influence éducative et nous n’ignorons pas que l’éducation ne suffit pas à remplacer la lutte. Mais la lutte exige, des lutteurs, et ce sont les lutteurs de demain dont nous pouvons préparer l’esprit et le moral. Dans la dialectique de l’histoire ce n’est l’attente messianique qui prévaut mais les efforts des marteaux avec lesquels nous forgerons le monde. La révolution est nécessaire, objectivement ; nous entendons déjà les craquements du vieux monde qui va s’écrouler. Mais il dépend de nous que la révolution se fasse dans’ un rythme de libération et de perfectionnement ou que d’effroyables destructions l’entravent et la retardent. Ces idées élèvent la valeur de notre activité d’un plan seulement pédagogique de maximes, règles et pratiques méthodiques au niveau d’un plan historique réalisé sur le terrain des réalités contemporaines.

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