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Les Principes de l’Education Socialiste

1) Caractère général de notre éducation.

Après ses victoires éphémères, le fascisme en Europe, comme système de gouvernement, voit sa carrière brisée par les forces démocratiques. Le fascisme c’était la dictature des esprits, l’interdiction de toute liberté et expression de penser. Le fascisme c’était surtout la monopolisation, par un état démocratique, des sources de richesse au profit exclusif de la militarisation et de l’accroissement du potentiel de guerre.

Le fascisme va à la faillite ; le socialisme est à l’ordre du jour ; Il est à propos de rappeler que déjà en 1911 des professeurs bourgeois, généralement peu enclins à adopter les solutions socialistes, avouaient que de « plus en plus on accepte d’envisager la plupart des problèmes que le socialisme a posés, comme posés à bon droit et d’une étude urgente » ) (v. A.Rey : Leçons de Psychologie et de Philosophie, p. 983). Une vingtaine d’années plus tard, même les ennemis les plus acharnés du socialisme, tirent argument pour le combattre de notions empruntées au socialisme. Pas de doute, le socialisme est la bonne solution, c’est à nous, c’est à la génération qui grandit qu’incombe la tâche de le réaliser. La question ne se pose plus de savoir si l’on doit réaliser le socialisme ou non, il s’agit maintenant de savoir comment le réaliser.

L’avenir se dégagera du passé par des lois nécessaires, et nous sommes arrivés à l’étape où les faits, en se transformant, prennent une physionomie nouvelle, où les conditions matérielles et morales, le milieu social, éveillent les consciences et les amènent à découvrir le caractère révolutionnaire de notre époque. La classe ouvrière, la masse des exploités et des opprimés, tous ceux dont la sécurité de vie n’est plus fondée sur la propriété privée telle qu’elle se comportait dans le passé mais dont le seul espoir est devenu une conquête de l’avenir, la victoire de l’organisation collective, cette grande armée veut le socialisme, et la volonté réelle et organisée de ces masses constitue déjà la force matérielle capable de le conquérir.

Cette situation étant donnée, l’éducation socialiste est devenue un problème urgent quoiqu’il soit fort discuté. Il ne faut pas oublier que c’est J.-J. Rousseau, l’un des précurseurs, de la « Grande Révolution » de la bourgeoisie et du libéralisme, qui a découvert le droit propre de l’enfant. De lui jusqu’à la Suédoise Ellen Key, qui dans son « Siècle de l’Enfant » donne à l’enfant la place prépondérante, c’est le développement croissant des moyens propres à délivrer l’enfant des chaînes de la tradition et de l’égoïsme de ceux qui le regardent comme . leur propriété privée.

C’est à l’individualité de l’enfant que sont consacrés tous les efforts des pédagogues, psychologues et philanthropes, mais tandis qu’ils s’attachent encore à affirmer l’individualité de l’enfant, la base de cette individualité a changé, bien mieux, elle va disparaître. L’individualité a pris un tout autre visage, la socialisation des hommes et des choses est en marche. Sur le fondement d’airain de l’économie une toute autre génération s’élève ; la nouvelle situation conditionne le nouvel enfant, la nouvelle pédagogie.

C’est cette situation objective et générale qui justifie nos efforts pour une éducation socialiste. L’éducation socialiste, en effet, sera demain en réalité ce qu’elle est déjà aujourd’hui à l’état d’idée : c’est-à-dire la forme générale de l’éducation. Ce caractère de généralité est fondamental pour les idées socialistes ; la lutte de classe dans son origine historique est la lutte générale de l’humanité contre l’égoïsme capitaliste, le combat pour la libération de la classe opprimée, et par là même pour la disparition de toutes luttes de classe.

Cette constatation du caractère général de notre éducation est importante, car elle répond au reproche qu’on nous fait de ne poursuivre que des buts étroits. Evidemment, tout socialiste conscient aspirera à ce que son enfant devienne plus tard un militant de son parti, mais notre éducation n’est pas et ne veut pas être une imitation des pratiques et des techniques des organisations ouvrières et même leurs doctrines et leurs principes ne sont pas pour nous des dogmes.

2) Caractère politique de notre éducation.

Notre éducation doit avoir un caractère général, mais elle n’est pas neutre, elle est socialiste quand même. Notre éducation n’est pas une construction abstraite, elle prend contact directement avec la réalité sociale, sans laisser s’interposer entre elle et les choses le prisme commode des formules imaginaires. Les faits sur lesquels notre éducation repose ne sont pas une collection de faits comparable à une collection de timbres-poste ou de coquillages, mais une synthèse active. Ce qui caractérise notre éducation, c’est cette union de l’idée et du fait. Connaître vraiment une société, c’est la réaliser selon des idées qui sont nées dans les données immédiates de l’expérience de notre vie sociale.

Le grand mérite de Karl Marx, selon Jaurès, « c’est d’avoir confondu l’idée socialiste et le mouvement ouvrier ». Marx mit l’idée dans le mouvement, l’idée socialiste dans la vie prolétarienne et la vie prolétarienne dans l’idée socialiste. Le socialisme et la classe ouvrière sont devenus inséparables.

Le socialisme ne réalisera toute son idée que par la victoire de la classe ouvrière, et la classe ouvrière ne réalisera sa mission historique que par la victoire du socialisme. C’est ce qui donne à notre éducation son caractère socialiste et politique. L’enfant de notre époque n’est pas un enfant abstrait. il vit dans une réalité concrète. L’enfant prolétarien vit dans la misère de la société ; ses, sentiments, ses pensées, sa volonté ne devraient pas traduire l’infériorité du milieu dans lequel il est plongé, mais les jugements, les raisonnements et l’espoir de la mission historique de sa classe. Nous n’avons pas le choix libre. Or l’enfant est élevé par les forces réactionnaires du passé et du présent immédiat, ou bien il est socialisé par notre exemple, par nos idées pédagogiques et par leur réalisation pour l’avenir et pour le socialisme.

Dans ce sens général toute éducation est politique, et ne peut être autrement. Ce sont les forces politiques de la vie sociale qui forment les principes généraux, les idées de l’éducation ; c’est elles qui encouragent ou découragent, facilitent ou empêchent la réalisation des œuvres pédagogiques et dirigent toute la vie scolaire ; c’est elles aussi qui inspirent les méthodes soi-disant « objectives » de la psychologie et de la pédagogie.

La liberté de l’enfant est par exemple, et à bon droit, un des postulats essentiels de « l’éducation nouvelle ». Nous n’ignorons pas les conséquences funestes d’une éducation autoritaire. Nous avons souvent observé qu’une éducation despotique faisait de l’enfant un être nerveux, hystérique et déséquilibré. Beaucoup de refoulements des instincts et même de névroses ont leur origine dans une éducation de despotisme et de violence, Plus un enfant jouira d’autonomie, plus il assimilera ses expériences et acquerra des habitudes de sincérité et même de discipline ; plus il développera en lui la volonté active, l’initiative et le sentiment de responsabilité.

Mais la liberté n’est pas une affaire individuelle. Ce n’est pas seulement la volonté des parents et des éducateurs qui barrent la route du libre développement de l’enfant. C’est partout la situation de sa classe qui met sa liberté en opposition brutale avec les faits. La famille prolétarienne vit à l’étroit dans un logement dont l’exiguïté rend à peu près chimérique l’espoir de faire régner l’ordre et l’hygiène. Cinq ou six personnes dans un tel taudis et vous pouvez imaginer combien de conflits s’élèveront entre ces personnes dont l’âge et les intérêts diffèrent complètement.

Inutile d’envisager des cas exceptionnels. Considérons un exemple normal dont on peut être témoin tous les jours. Famille ouvrière, père, mère, trois enfants. Il est 18 heures, la mère s’occupe du ménage, le père, rentré du travail, se repose en lisant son journal ; les trois enfants de 4, 5 et 7 ans s’amusent ensemble. Le prolétaire n’a pas l’habitude de lire du matin au soir, la fatigue de sa journée ne le prépare pas à la lecture. Il a besoin du silence pour concentrer son activité intellectuelle ; il lui faut lire attentivement pour comprendre ce qu’il lit. On ne peut pas dire qu’il est exigeant en demandant aux enfants d’être calmes ; c’est son droit. Qui le contestera ?

Mais les enfants sont encore petits, ils ne pensent que pour eux, mêmes et leur égocentrisme ne leur permet pas encore de respecter les intérêts des autres. Ils ont une bouche pour bavarder et ils aiment à raconter tout ce qu’ils ont vécu pendant toute la journée avec un luxe de détails qui ne nous importent pas mais qui sont très importants pour eux. Ces enfants n’ont pas des jambes pour rester immobiles. Ils ne sont pas fatigués ; au contraire, tous leurs nerfs, tous leurs muscles les poussent à des mouvements vifs et incessants. Et combien ils aiment le bruit, qui est l’élément même de l’enfant.

Le droit naturel de l’enfant est-il moins légitime que le droit du père ? Voilà le conflit, atténué parfois par l’amour et la discipline des parents, aggravé tant de fois par la mauvaise humeur et la violence du père, mais le conflit existe et le faible enfant en est presque toujours la victime. Ou il obéit et cache son être intime en s’acheminant sur la voie de la soumission, de la servilité et même du mensonge ; ou il s’oppose intérieurement, devient un révolté d’instinct et traîne avec lui toute sa vie les sentiments d’amertume et d’ambition de devenir fort et despotique à son tour, comme l’adulte, son père.

Pas de doute, cette éducation involontaire est un grand danger social ; c’est une restriction de la liberté qui prend son origine dans la vie de tous les jours et qui se fait sentir, avec toute la force contiinuelle de la vie réelle. Je le répète, cette éducation est un grand danger, mais pour qui ? Est-elle dangereuse pour le bourgeois réactionnaire qui préfère l’homme servile ; mais pour le capitaliste dont le profit vient de l’ouvrier qui n’ose pas s’opposer à son exploitation ; pour le militariste qui aime la subordination ? Pour décider en pareille matière il faut déjà franchir le domaine purement démagogique ; cette décision est politique et c’est pourquoi celui qui aspire à créer pour les enfants prolétaires un état d’équilibre pédagogique se heurte aussitôt à la résistance de la société existante.

Toute éducation qui mérite ce nom, tend et doit tendre à éveiller la compréhension des valeurs sociales. L’enfant ne comprend pas encore la langue des notions abstraites. Vous n’introduisez un idéal dans les cœurs de vos enfants que par l’exemple et par une véritable activité idéale ; vous n’inculquerez à l’enfant la foi dans la vie que par une vie qui encourage son espoir, qui justifie sa foi. Pendant deux mille ans on a prêché : « Tu ne tueras point » et ceux qui ont prêché cet idéal de paix ont eux-mêmes béni la guerre, la grande tuerie mondiale. La guerre mondiale et la brutalité du fascisme ne sont pas un échec de l’idéal humain mais un échec d’une éducation verbale et de ses prêcheurs laïques et religieux. C’est donc l’intérêt absolu de notre classe d’ouvrir les yeux de nos enfants sur les réalités de la société présente avec tous les problèmes que l’antagonisme de notre société nous impose à nous et à nos enfants.

L’éducation nouvelle ne procède donc pas d’une décision politique, a priori. L’enfant ne se développe pas dans une zone extérieure à la vie de la société. Le paradis des enfants est une illusion. L’enfant vit et se développe dans la vie sociale même ; les antagonistes de cette vie de chaque jour le lèsent comme les adultes ; les bas salaires, le chômage qui pèsent sur les parents, provoquent pour l’enfant les mêmes privations.

Notre époque a besoin d’êtres résolus à lutter pour la libération des victimes de l’injustice sociale, à transformer un monde dont l’état est devenu insupportable et indigne. C’est pourquoi l’éducation socialiste n’est pas seulement un idéal mais une réalisation de cet idéal. Elle constitue donc une nécessité absolue pour la classe ouvrière el pour l’humanité de notre époque.

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